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Tourisme solidaire : le grand paradoxe de la bonne intention

Dernière mise à jour : 4 juin 2020


par Elodie



Depuis quelques semaines est réapparue sur les réseaux sociaux une polémique datant de 2018 concernant les deux youtubeurs Mava et Adrien Chou. Ce couple, qui comptabilise environ 180 000 d'abonnés s’est retrouvé au cœur d’un scandale de détournements de fonds après que leurs abonnés aient financé une collecte de dons humanitaires. En février 2018, le couple décide en effet de créer l’association « Un petit sourire » qui a pour but « d’apporter le plus possible aux foyers et aux orphelinats qui en ont besoin ». Ils souhaitent se déplacer eux-mêmes pour fournir du matériel nécessaire au bon fonctionnement de ces structures. Seulement, après avoir récolté près de 4000 euros de la part de leurs abonnés et acheté des fournitures -sans se renseigner au préalable sur les besoins-, le couple a du mal à trouver auprès de qui s’impliquer et se met en scène dans une vidéo pour expliquer leurs difficultés. On les voit se plaindre face caméra d’un orphelinat qui leur a interdit de filmer le visage des enfants. Mava Chou prononce alors ces deux phrases qui vont provoquer un tollé : « Flouter les visages mais non, ça n’a aucun intérêt, les gens veulent voir le visage des enfants. Ca va gâcher toute la vidéo ».


Maladroits ou indécents, les internautes choisissent rapidement leur camp et accusent les Youtubeurs de jouer le jeu des « White Saviors » en ne faisant preuve de charité que pour gagner en notoriété. La haine et les insultes inondent leurs réseaux sociaux et le couple se retrouve accusé d’avoir gardé l’argent destiné à aider cet orphelinat. Finalement, ils justifient un don de 1700 euros à l’association « Lueur d’espoir pour Ayden » et expliquent que le reste de l’argent récolté a déjà été dépensé dans différents frais (PayPal, frais bancaires, frais d’hébergement et de création de site, achat de matériel et de fourniture etc…). Résultat : une deuxième vague d’indignation qui les pousse à dissoudre leur association en janvier 2019.




La phrase de Mava Chou qui fit polémique (capture d'écran)



Cette polémique est intéressante en ce qu’elle révèle à la fois la difficulté de s’impliquer dans l’humanitaire sans en connaître le fonctionnement et les besoins et la méfiance croissante des donateurs à l’égard de cette solidarité filmée, partagée et… parfaitement instagrammable. Ce scepticisme a commencé à se faire sentir il y a quelques années avec l’essor d’une pratique a priori étonnante : le tourisme solidaire. Ce type de tourisme dit « solidaire » -ou « voluntourism »- est de plus en plus connu et décrié du fait de l’émergence du concept de « White Saviors » et de la mise en garde de nombreuses ONG et spécialistes de l’humanitaire, et il semble important de revenir aux fondements même de sa création pour en comprendre les réelles problématiques structurelles. En clair, d’où ça vient et pour quelles raisons ça peut faire bien plus de mal que de bien.



Genèse et idéologie du tourisme dit « solidaire »


Tourisme « solidaire », « éthique », « durable », « humanitaire », « responsable » ou encore « équitable », de nombreux termes sont employés pour désigner cette forme de tourisme, visant très largement à voyager tout en respectant à la fois les populations locales et leur environnement. Si toutes ces appellations sont souvent utilisées pour désigner la même façon de voyager, elles ne veulent pas du tout dire la même chose et c’est pourquoi il sera question ici d’identifier les caractéristiques propres au tourisme solidaire. Ce dernier se place en fait parmi les différentes branches du tourisme dit « durable », lui-même étant considéré comme une sous-catégorie du développement durable.


Le Club de Rome est un groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux ainsi que des industriels de 52 pays, préoccupés par les problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés, tant industrialisées qu'en développement.

Lorsque le concept de développement durable est théorisé à la fin des années 1960 par le club de Rome, il est tout d’abord associé aux domaines de la consommation, de l’industrie et de l’agriculture. L’origine du constat selon lequel les ressources doivent être préservées et la consommation régulée vient du fait qu’à cette époque, le mode de vie américain est considéré comme le modèle emblématique du développement et du progrès. Fondé sur une surconsommation malsaine et inapplicable à l’échelle globale, il a fallu réfléchir à des solutions plus respectueuses et les problématiques liées à l’alimentation, à la production et au développement économique sont alors très rapidement perçues sous l’angle du développement nouvellement dit « durable ». Cependant, le tourisme est mis de côté et tardera à entrer dans cette logique puisqu’il ne sera évoqué que 30 ans plus tard, en 1992, à la conférence de Rio.


C’est à cette époque aussi que l’on pose la question de la viabilité, pour les écosystèmes, les sociétés et les économies locales, du tourisme de masse. Au delà de la consommation sur place et des effets écologiques néfastes, c’est le constat d’un tourisme devenu trop invasif pour les populations locales qui place le domaine touristique au cœur des problématiques du développement durable.



Un exemple de schéma explicatif du tourisme solidaire (source : Grandira Fédération)




Il faut savoir que le secteur avait longtemps été perçu comme un terrain purement vertueux, profitant à tous dans la mesure où il permet à des pays plus fragiles économiquement de gagner en attractivité, et donc, de produire des richesses. On pourrait citer pour exemple le cas de la Tunisie, qui a axé une grande majorité de son économie sur le tourisme, notamment européen, avec la création du concept d’hôtel-spa, ultra populaire et permettant à une clientèle moins aisée de profiter de complexes hôteliers, de services et de paysages jusqu’alors inaccessibles. Cependant, ce tourisme florissant cache en réalité bien des problématiques que François Vellas a théorisé en 1985 dans ce qu’il appelle « les nuisances économiques, socioculturelles et écologiques du tourisme international », divisées en trois catégories :


▸La première nuisance est l’ « effet sur les prix », puisque le fort pouvoir d’achat des touristes déséquilibre le marché local et encourage l’inflation. Cette hausse des prix lié au tourisme aurait tendance à s’étendre à l’ensemble des secteurs économiques et contribuerait à accroître les déséquilibres structurels et sociaux dans les pays d’accueil. Pour Vellas, l’influence de l’activité touristique sur le marché économique local serait particulièrement forte dans certains pays, notamment d'Europe du Sud (Grèce, Malte, Chypre, Espagne, Turquie etc..).


▸La deuxième nuisance est relative aux effets socioculturels. Le tourisme international aurait tendance à provoquer des « effets d’imitation » qui vont souvent à l’encontre des traditions culturelles. Il prend l’exemple des fêtes et événements religieux perturbés par l’arrivée de touristes pour expliquer le sentiment d’intrusion que peuvent ressentir les populations locales.


▸Une troisième nuisance serait relative, quant à elle, aux effets écologiques que peut avoir le tourisme international sur les pays d’accueil. Dégradation de l’environnement naturel, urbanisation de sites naturels, construction d’infrastructures (notamment de routes, autoroutes), pollution des rivières et plages (le cas le plus emblématique étant la Thaïlande).

Le caractère vertueux de la globalisation du tourisme est pour la première fois remis en question grâce à ces auteurs pour qui le secteur doit urgemment être remis en cause et régulé. Si cette ambition s’avère extrêmement complexe à l’heure de la banalisation de l’aviation commerciale et de la liberté que symbolise le tourisme massif, la question fut débattue en 1995 à la Conférence Mondiale de Lanzarote sur le Tourisme Durable. Les acteurs de cette rencontre appellent alors à « un développement touristique reposant sur des critères de durabilité […], supportable sur le plan écologique, viable sur le plan économique et équitable sur le plan éthique et social, pour les populations locales » et « contribuant au développement durable en s’intégrant dans le milieu culturel, naturel et humain » (UNESCO, 1995) . Il s’inscrit dans le cadre de la mise en place d’une planification qui, du point de vue touristique, a pour but d’éviter les atteintes pouvant remettre en cause les fondements mêmes du développement tel que : la dégradation des écosystèmes, la remise en cause du patrimoine culturel, le bouleversement des traditions et modes de vie, la concurrence pour l’accès aux équipements et aux infrastructures. Ces quatre éléments sont alors considérés comme les piliers du tourisme durable et sont très vite repris par la grande majorité des agences de voyage ou associations dites « responsables » qui ciblent une clientèle déjà sensibilisée aux problématiques du développement. Qu’elles vendent des séjours « équitables » ou « solidaires », le concept est simple : promettre un voyage « unique ». Les formules, durées et destinations proposées sont diverses, mais toutes suggèrent à leurs cibles un exotisme, une authenticité et un tropisme qui les distingueront de l'image d'Epinal d'un touriste individualiste et résolument contemplatif.L’enjeu de notre article est finalement de confronter cette forme de tourisme avec l’objectif de durabilité qu’elle prétend atteindre.


Le levier économique: concurrence faussée, pouvoir d’achat affaibli et dérégulation des marchés locaux

L’aspect économique est le premier concerné par les enjeux de développement durable dans les années 1960. L’idée de créer un marché viable, équitable et durable a été l’un des principaux piliers de la prérogative de durabilité initiée par les pouvoirs publics. Adapter cette nouvelle vision de l’économie au tourisme n’a pas été une idée évidente, mais cela a semblé nécessaire à partir du moment où la différence de niveau de vie entre les touristes et les populations locales s’est faite ressentir de façon trop forte.


Les touristes, qui dépensent souvent sans compter durant leurs vacances, mettent les populations locales dans l’incapacité de s’offrir des produits qu’elles pouvaient acheter auparavant

Dans certains pays très touristiques comme la Grèce, la Thaïlande, l'Indonésie, la Tunisie ou encore certains pays d’Amérique du Sud comme l’Argentine ou la Bolivie, ce fossé économique est devenu problématique très tôt. Chronologiquement, c’est la construction d’infrastructures touristiques (palaces, bases nautiques, plages artificielles) extrêmement coûteuses qui est à l’origine de la dérégulation des marchés tant elle a provoqué une forte inflation des produits de consommation basiques et même de l’artisanat local. Les touristes, qui dépensent souvent sans compter durant leurs vacances, mettent les populations locales dans l’incapacité de s’offrir des produits qu’elles pouvaient acheter auparavant. Le tourisme international de masse a finalement causé un affaiblissement significatif du pouvoir d’achat local et bien que certains pays choisissent d’afficher des prix différenciés pour les touristes et les locaux, le marché s’en trouve inévitablement bouleversé.


Conscients de cette problématique, les organismes de tourisme dit « solidaire » tentent d’adapter leurs séjours à l’économie locale des pays concernés. L’association TDS par exemple, qui dispose de nombreux villages labellisés, formule des règles de bonne conduite que les voyageurs et locaux s’engagent à respecter dans le but « d’estomper » leurs différences socioculturelles : si les voyageurs ne doivent pas faire de cadeaux inconsidérés aux villageois et doivent dormir dans des habitats traditionnels, les villageois s’engagent en contrepartie, à ne pas mendier. Ainsi, les voyageurs sont amenés à voyager de la façon la plus respectueuse possible des traditions et du mode de vie des locaux. Si l’idée peut sembler être une solution efficace pour enrayer le phénomène de la dérégulation du marché, elle entraîne d’autres phénomènes pervers.


Dans une enquête réalisée dans un village TDS, Nadège Chabloz explique que l’association distingue deux types de solidarité.La « bonne » solidarité, dans un premier temps, consisterait à se rendre dans le village pour mieux comprendre son fonctionnement, à y laisser de l’argent, certes, mais uniquement pour un développement collectif décidé démocratiquement au sein du village, et à soutenir éventuellement des projets villageois une fois revenu en France. La « mauvaise » solidarité consiste à donner, de façon inconsidérée et individuelle, des cadeaux aux habitants sous l’emprise de l’émotion ou même à participer à un projet collectif des villageois sans passer par TDS ou les structures collectives.


Chabloz affirme que cette dissociation entre bonne et mauvaise solidarité est expliquée dès le début aux voyageurs par l’association qui y voit une manière efficace de réguler les effets néfastes liés à la différence de capital économique entre ces derniers et les populations qu’ils vont rencontrer. Cependant, l’un des aspects fondamentaux de l’économie d’un pays apparaît complètement négligé par le principe même du séjour solidaire : la professionnalisation des populations locales. Avec TDS par exemple, le voyageur dépense entre 1500 et 3000 euros pour son séjour « en immersion » dans le village (hors coût du transport et pour une durée de deux semaines), mais devra participer aux activités et apporter son aide dans différentes tâches (éducation, agriculture, récolte de l’eau etc..).


Dans un documentaire intitulé « The Voluntourist », Chloé Sanguinetti va à la rencontre de ces « touristes solidaires » afin d’identifier l’impact réel de leur présence sur le développement des villages qu’ils visitent. Ces jeunes volontaires aident à l’agriculture, à la construction de puits mais surtout, donnent des cours d’anglais aux enfants, ce qui a un effet extrêmement pervers car ce sont de jeunes gens, non formés ni qualifiés qui font l’école aux enfants. Ces professeurs éphémères ne restent généralement pas plus de deux semaines sur place, provoquant, d’une part, la confusion chez les enfants et d’autre part, l’impossibilité d’établir un programme éducatif cohérent. Le phénomène est d'autant plus vicieux que les enfants, ayant tendance en général à s'attacher rapidement à de nouveaux venus, sont contraints de faire régulièrement leurs adieux à des tiers éducatifs, engendrant une instabilité et une insécurité émotionnelle nuisant à leur développement.


Finalement, ce sont de jeunes occidentaux non formés qui se retrouvent professeurs de fortune pour des enfants dont le besoin d’éducation est primordial et doit être accompagné sur le long terme. De nombreuses ONG basées dans ces pays en voie de développement luttent pour que les associations telles que TDS favorisent la formation des locaux et cessent d’envoyer des jeunes inexpérimentés pour occuper des emplois passagers que les locaux feraient bien mieux si l’on plaçait les efforts dans leur apprentissage. Le documentaire prend l’exemple de l’enseignement et de l’agriculture et pose la question suivante : pourquoi considère t-on que de jeunes blancs privilégiés sont plus à même de faire l’éducation des enfants ou de construire des puits d’eau alors ils pourraient aider à la formation d’un personnel local, permanent et durable ?


Finalement, l’économie s’en retrouve davantage amputée dans la mesure où l’on prive les populations locales de ressources techniques pour se former et de créer des emplois. La réponse donnée dans le documentaire est simple mais révèle tout le paradoxe de cette bonne intention : les associations et organismes tels que TDS vendent leurs séjours grâce à la promesse d’un contact privilégié avec les populations locales et -surtout- avec les enfants. L’idée de former des adultes à certains métiers est beaucoup moins attractive que celle d’être entouré d’enfants ou de construire un puits de ses propres mains : le tourisme reste un secteur rentable, commercial qui n’a finalement que le seul objectif de vendre du rêve. Si le volontaire se sent bien plus utile, il est en réalité néfaste, d’une part pour l’économie du pays qui ne peut jouir d’une main d’œuvre qualifiée et d’autre part pour les enfants qui ne bénéficient finalement que d’une « éducation de charité » fractionnée et impropre à une scolarité cohérente. C’est malheureusement l’ensemble de la formation professionnelle qui s’en trouve compromise, prise en tenailles entre ces deux dynamiques.



Le levier socio-culturel : Authenticité illusoire, actions contre-productives et échanges biaisés


La deuxième nuisance majeure concerne l’aspect socio-culturel du tourisme international, à cause de l'« effet d’imitation » et de perturbation des traditions locales par des voyageurs souvent non-initiés à ces dernières.


Dans les destinations où le différentiel culturel entre les touristes et les populations locales était très important, un sentiment d’intrusion s’est fait ressentir, jusqu’à vider certaines zones géographiques de leurs habitants au profit de complexes touristiques huppés (Seychelles, Tanzanie, Maroc). Ce décalage culturel fut ainsi l’élément déclencheur de l’émergence du tourisme solidaire, le respect des populations locales et la préservation de leurs traditions étant au fondement de cette démarche. Pour cela, les différents organismes ont intégré dans leurs chartes de bonne conduite des règles relatives au comportement à adopter par les touristes comme par les villageois, le but étant de réduire au maximum la fracture culturelle qui pourrait se créer entre autochtones et allogènes. La Charte de TDS stipule notamment que « l’accueil est spontané, les habitants sont heureux de montrer leur village et leur artisanat [...] les habitants n’accueillent pas les touristes pour leur enrichissement personnel mais pour le développement de tout le village ».


Un exemple d'expérience de "tourisme solidaire"

(Capture d'écran depuis le site de Nature Obsession)


Cette volonté d’offrir une expérience authentique est commune à tous les organismes de tourisme solidaire, qui promettent unanimement des rencontres humaines intenses et empreintes de vérité. Le rituel de l’accueil est très symptomatique de cette promesse. Dans son article, Nadège Chabloz raconte son immersion dans le village de Doudou au Burkina Faso. Dans ce village labellisé TDS, des accords signés entre l’association et le village obligent les villageois à accueillir les touristes volontaires. En contrepartie, une caisse collective de financement (la CVGT) a été créée par l’association pour aider à la mise en place de projets collectifs. Le credo de l’association : le donnant-donnant. Les touristes ont le sentiment de vivre un accueil traditionnel et joyeux tandis que les villageois profitent de la caisse de financement pour construire de nouvelles infrastructures.


Les rapports humains sont parfois biaisés par la sur-monétisation de séjours pourtant vendus comme traditionnels

Cependant, pendant plus de 3 semaines, les habitants du village de Doudou ont refusé de venir accueillir les touristes car ils souffraient du manque d’eau et réclamaient à TDS de débloquer des fonds issus de la CVGT. Cette anecdote rappelle que l’authenticité, bien que favorisée par ce mode de tourisme, n’est pas un bien marchand et peut encore moins faire l’objet d’un argument marketing. Les rapports humains, biaisés par la sur-monétisation de séjours pourtant vendus comme traditionnels, sont théorisés par Chabloz comme « un malentendu », un « pieux mensonge ». Pour l’auteure, « le « faire comme si » permettrait de remplacer la spontanéité du début, de perpétuer l’illusion d’un échange et de participer à l’enchantement de la rencontre ».


Du fait du prix très élevé de ces séjours, les attentes des voyageurs en quête d’authenticité sont également très hautes. Ce phénomène paradoxal est très bien exprimé dans le documentaire de Chloé Sanguinetti, qui, voulant comprendre les motivations de jeunes volontaires, les interroge quant à leur démarche. Sans surprise, le besoin d’être utile, la volonté de se déconnecter de la vie « normale » (c'est-à-dire occidentale), l’envie de rencontrer des populations culturellement différentes sont des éléments qui ressortent de façon claire dans leurs entretiens. Les 6 jeunes interrogés ont entre 19 et 23 ans, ils viennent des États-Unis, de France, d’Angleterre, des Pays-Bas, d’Allemagne et de Nouvelle-Zélande et affirment tous être venus avec l’intention d’aider et de se découvrir eux-mêmes au contact de populations modestes. Pour un coût modique avoisinant 2000 euros les quinze jours, ces jeunes ont tous été financés par leurs parents, l’une des interrogées expliquant la fierté ressentie par son père lorsqu’elle a émis le souhait de partir au Sénégal au lieu « d’aller en Espagne avec ses copines ».


Cette fois encore, les ONG spécialisées dans le développement de ces régions regrettent le manque de connaissance du milieu humanitaire des jeunes volontaires. Pour elles, les actions menées sont contre-productives et peuvent même se montrer dangereuses pour le développement affectif des enfants. Elles tentent ainsi, souvent vainement, d’avertir les organismes touristiques des conséquences néfastes que peuvent avoir ces séjours sur des enfants obligés de se séparer de bénévoles auxquels ils s’attachent nécessairement. Le sentiment d’abandon généré à chaque rotation, très fort, peut être réellement traumatisant pour certains enfants, qui finissent parfois par se fermer aux nouveaux volontaires, sachant qu’ils ne resteront que de très courtes périodes.


Sur l’aspect socio-culturel aussi, le tourisme solidaire apporte de bonnes réponses puisqu’il réclame des voyageurs un comportement respectueux des traditions et des populations. Cependant, la promesse d’une authenticité en réalité biaisée par les enjeux financiers que représente ce marché pervertit le concept et peut se montrer nocive au développement des populations.


Le levier écologique : dégradation des écosystèmes, infrastructures inutiles et manque de formation aux enjeux environnementaux


La dernière nuisance produite par le tourisme international concerne les effets écologiques néfastes qui peuvent apparaître par l’urbanisation de certains sites naturels, par la pollution de certaines rivières et plages ou encore par la construction d’infrastructures routières. Le tourisme solidaire a également prétendu enrayer cette problématique propre au tourisme de masse. Toutes les chartes de bonne conduite édictées par les différents organismes disposent d’une clause relative au respect de l’environnement local. Ne pas polluer, ne pas transformer le paysage et rester vigilant quant à la production et la gestion des déchets sont des aspects fondamentaux des séjours solidaires.


Il faut noter que les voyageurs qui s’engagent dans ce mode de tourisme sont pour la grande majorité déjà sensibilisés aux problématiques environnementales dans leur pays d’origine. Être responsable et respectueux de l’environnement est l’un des principes les plus naturels chez les volontaires et c’est en cela que ce mode de tourisme se distingue réellement. La volonté d’aider et la bonne intention caractéristique et unanime des voyageurs va de pair avec l’idée de ne pas dégrader les villages ou paysages qu’ils visitent.

Cependant, ce qui est paradoxal et pose question dans les différentes offres proposées par les organismes tels que TDS sont les « double-séjours ». Ces formules proposent en général une semaine d’ « immersion » en village puis une semaine de safari, visite du désert en 4x4 ou visites de monuments typiques, associées à des temps libres consacrés au shopping. Ces offres, légèrement plus chères, sont très prisées des touristes solidaires qui ont le sentiment de faire à la fois une action utile et de profiter des paysages et infrastructures du pays.


Ces formules et leur succès illustrent finalement de façon flagrante ce tourisme à double-vitesse qui, disposant de nombreuses vertus, reste tout de même l’expression d’une charité passagère qui peut se montrer plus néfaste que bénéfique pour les populations locales et leur environnement. Les ONG spécialisées dans le développement humanitaire préconisent l’arrêt de ces séjours au profit de dons, l’idée étant de favoriser la formation et le développement à long terme. En effet, si le tourisme solidaire s’inscrit dans une logique de tourisme durable, les actions assurées dans son cadre, qu’elles soient économiques, culturelles ou écologiques revêtent un caractère éphémère qui illustre parfaitement ce grand paradoxe de la bonne intention.



Le tourisme solidaire comprend-il ses propres nuisances ?


Il semble donc que dans les trois nuisances provoquées par le tourisme international et identifiées par Vellas, toutes ont su être comprises et appréhendées par le tourisme solidaire. Le phénomène le plus significatif de la compréhension des nouveaux enjeux relatifs à un tourisme plus durable est l’instauration d’une charte de bonne conduite par la quasi-intégralité des associations ou organismes proposant ce type de séjour. La volonté de respecter à la fois l’économie locale ainsi que les spécificités culturelles et environnementales des régions concernées est manifeste et démontre que le tourisme a su s’adapter, dans une certaine mesure, à la logique du développement durable.


Néanmoins, le malentendu qui préexiste nécessairement entre les voyageurs et les populations locales a encore du mal à s’estomper. Les différences économiques et culturelles restent très fortes et le sentiment de compassion noté chez les volontaires reste un réel problème dans des échanges qui se veulent pourtant authentiques. La marchandisation de ce volontariat y est également pour beaucoup car elle pousse les voyageurs à payer très cher un voyage qui se veut justement modeste, dans des conditions de vie traditionnelles.


L’envoi de ces touristes, inexpérimentés et pour la plupart étrangers au monde humanitaire, pour des séjours de courte durée est en réalité à l’opposé d’une logique durable. En effet, ces séjours sont proposés dans des villages qui ont besoin de se construire durablement, de se former, et la main mise de ces organismes sur des professions telles que professeur ou agriculteur ne permet pas d’envisager un développement sur le long terme. Au regard des observations apportées quant à certaines associations, il semble problématique de vendre de la sorte une authenticité, un contact humain et unique tout en rémunérant les villageois : en se retrouvant récompensés d’être accueillants, la possibilité d’échanges naturels avec les touristes devient nécessairement plus compliquée.


Finalement, la porosité entre le secteur touristique et le domaine humanitaire, bien que découlant d’une bonne intention manifeste, semble poser de nouvelles questions, relatives d’une part à la viabilité du tourisme solidaire dans la durée et d’autre part à la nécessité de considérer l’humanitaire comme un secteur professionnel à part entière.




Sources


Battesti, Vincent. « Tourisme d'oasis. Les mirages naturels et culturels d'une rencontre ? », Cahiers d'études africaines, vol. 193-194, no. 1, 2009, pp. 551-582.


Chabloz, Nadège. « Vers une éthique du tourisme ? Les tensions à l'œuvre dans l'élaboration et l'appréhension des chartes de bonne conduite par les différents acteurs », Autrepart, vol. 40, no. 4, 2006, pp. 45-62.


Chabloz, Nadège. « Le malentendu. Les rencontres paradoxales du « tourisme solidaire » », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 170, no. 5, 2007, pp. 32-47.


El Bahri, Ahmed, et Pierre-Charles Pupion. « Tourisme solidaire et parties prenantes : Le cas de la région de Mahrès », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, vol. 10, no. 1, 2014, pp. 3-22.


Lozato-Giotard. 2006. Le chemin vers l'écotourisme : Impacts et enjeux environnementaux du tourisme aujourd'hui. Delachaux et Niestlé 191 p.


Sanguinetti Chloé, The Voluntourist, documentaire, 2015


Schéou, Bernard. « Chapitre 4. Le tourisme diabolisé », , Du tourisme durable au tourisme équitable. Quelle éthique pour le tourisme de demain, sous la direction de Schéou Bernard. De Boeck Supérieur, 2009, pp. 119-159.


Urbain, J-D.. 1993, L’idiot du voyage. Histoires de touristes, Paris : Payot, col. Documents, Petite Bibliothèque Payot, 270 p


Vellas, F.. 1985 Economie et politique du tourisme international, Economica, 298 p










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