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[Point de vue] Petits coups de scalpel dans le corps intermittent

Dernière mise à jour : 23 mai 2020

- 𝑝𝑎𝑟 𝑇𝑎𝑛𝑔𝑢𝑦


Face à la crise sanitaire en cours, les secteurs de l'économie et du social découvrent chaque jour avec un peu plus d’effroi l'ampleur des dégâts à venir. Mesures après mesures, décrets après décrets, live ministériel après FAQ « en Marche », on réalise aisément que cette crise est loin de se conjuguer de la même façon pour toutes et tous.


Je vous propose de faire un état des lieux du secteur culturel (auquel l'auteur appartient) et plus particulièrement celui de sa masse laborieuse, bénéficiant du régime intermittent. En effet, le secteur culturel est très vaste et qu'il s'agisse de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de l'édition ou des arts plastiques chaque secteur comporte ses contrats, ses méthodes et ses réseaux. C'est donc un sujet difficile, presque vertigineux que j'essaie d'investir. Je vous invite à compléter cet article en commentaire si vous en ressentez le besoin. Une fois passée la crise sanitaire, il faudra se remémorer les luttes d'hier, douloureusement actuelles, et mieux les poursuivre demain.


Il est important pour commencer de récapituler les conditions d’accès à ce statut et la façon dont il s’organise. Premièrement, l'intermittence n'est pas un métier, mais un statut de chômeur permanent. L'artiste interprète n'est pas chef.fe machiniste, qui n'est pas non plus chef.fe d'orchestre, et pourtant tout trois sont « intermittent.e.s ». Il est actuellement demandé aux personnes dont le métier est régi par l'annexe VIII et X de l'Unedic de se constituer un capital de 507 heures travaillées dans un laps de temps de 12 mois, afin d’accéder au régime d'intermittent qui, par la suite, permettra à ses bénéficiaires de toucher des allocations au long de l'année suivante. Les technicien.ne.s (Annexe VIII) déclarent des services journaliers de 8 heures et les artistes (Annexe X) de 12h. Il est donc nécessaire de renouveler son statut chaque année en accumulant, de nouveau, les 507h nécessaires avant la « date anniversaire » (car la précarité est une fête).


On notera que les plasticien.ne.s, auteur.e.s et traducteur.rice.s ne sont pas sujet à ce régime. Tout aussi précaires soient-iels. Il n'est donc aucunement question de privilège en ce qui concerne les intermittents, mais gardons à l'esprit que d'autres, et pas des moindres, vivent dans des situations bien plus précaires.


Le régime de l'intermittence est le résultat d'un siècle de combats sociaux. Son ancêtre, le régime salarié intermittent à employeurs multiples pour les techniciens et cadres du cinéma, voit le jours en 1936, qui conjugué à la création de la Caisse des congés Spectacles en 1939 fera naître le 31 décembre 1958 le Régime d'assurance chômage de l'Unedic, comme le raconte Mathieu Grégoire dans sa thèse 𝑈𝑛 𝑠𝑖𝑒̀𝑐𝑙𝑒 𝑑'𝑖𝑛𝑡𝑒𝑟𝑚𝑖𝑡𝑡𝑒𝑛𝑐𝑒 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑠𝑎𝑙𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡.

Aujourd'hui, l'intermittence, véritable pied-de-nez au libéralisme, est toujours menacée et fait régulièrement l'objet d'attaques de la part des syndicats patronaux. C'est donc avec une certaine ironie que Franck Riester, ministre de la Culture du gouvernement En Marche, doit passer à la caisse, avec la complicité de la ministre du travail Murielle Pénicaud, pour sauver ce qui n'a pas encore été détruit de la culture en France. La question que nous nous posons est : les engagements du ministre de la culture sont-il à la hauteur des enjeux économiques et sociaux liés à la crise du COVID-19 ?


Alors que l'ex-ministre de la santé Agnès Buzin nous raconte avoir prévenu en janvier 2020 le chef de l’État et averti son premier ministre que l'épidémie faisant rage à Wuhan avait de fortes chances de s'exporter en Europe, il semble que « personne ne pouvait se douter » que ces événements prendraient une tel ampleur et que l’hôpital public se retrouverait dans un état aussi critique. Pas même le personnel médical en gréve depuis des années ? Ainsi, avec le sens de la temporalité qu'on lui connaît, le gouvernement décrète le 5 mars 2020 que les rassemblements de plus de 5 000 personnes sont interdits. Ce décret se voit réévalué à 100 personnes le 13 mars 2020, pour annoncer dès le lendemain la fermeture aux publics des structures de catégorie L. On ne cherchera pas à compter combien de personnes se sont transmis le virus durant les rassemblements maintenus entre ces deux dates, ni ne parlerons de la moyenne d'age de certains publics fréquentant les salles de spectacles.


Plutôt que de prendre le taureau par les cornes, en annonçant la mise en activité partielle de toutes les structures accueillant du public dès que les premiers symptômes de la pandémie sont apparus sur le territoire afin d'endiguer le plus vite possible la propagation du coronavirus, Franck Riester, sans doute trop occupé à planter des couteaux dans le dos de l'audiovisuel public ou à organiser la société numérique du non-vivant de demain, prend la parole le 18 mars 2020 pour demander « aux structures les plus solides financièrement, ainsi qu'à ses opérateurs et aux structures subventionnées par l’État, de faire jouer la solidarité en payant les sessions prévues aux compagnies et en honorant les cachets des intermittents afin de ne pas les fragiliser » . Il ne dit donc rien, puisque ce qu'il demande n'est autre que de respecter la loi. On pourrait traduire par : « Ne soyez pas les requins que notre modèle économique vous demande habituellement d'être » - mais on s'égare.

Le jeudi 19 mars, Murielle Pénicaud prend la parole à l'Assemblée Nationale pour annoncer la neutralisation de la dite période, c'est-à-dire le report des échéances des fameuses dates anniversaires et le maintien des indemnités. Une décision qui en a soulagé plus d'un.e, mais comme toute annonce ministérielle, la mise en pratique au cas par cas dévoile assez rapidement ses limites. Quid, par exemple, des « pas encore » intermittent.e.s qui se retrouvent tout à fait sans le sou, n'ayant pas atteint leur quota d'heures ? Le secteur culturel, dont une large part est au bord de la crise de nerfs, nécessite davantage de clarté et de soutien. Franck Riester annonce ainsi une aide d'urgence de 22 millions d'euros : 10 millions pour la scène musicale, 5 pour le spectacle-vivant, 5 autres pour le monde du livre et 2 millions pour les arts plastiques. L'argent magiq.. public était donc là, dormant on ne sait trop où, attendant sûrement le bon moment pour se manifester.


Cette somme paraît cependant dérisoire au regard de la façon dont d'autres pays gèrent la situation. Le land Berlinois a par exemple débloqué 50 milliards d'euros pour subvenir aux besoins des « indépendants », parmi lesquels ceux du secteur culturel. Une comparaison bien sûr à nuancer, puisqu'il ne n’agit que du land de Berlin. Les indépendants du spectacle, en Allemagne, bénéficient d’une caisse d’assurance sociale particulière qui couvre l’assurance santé, la retraite, le congé maternité, mais pas l’assurance chômage. Les contributions à cette caisse proviennent des artistes (50 %), de l’État fédéral (20 %) et des entreprises (30 %) qui font appel à ces indépendants. Sont concernées les activités culturelles, les médias et le monde de la communication. Environ 180 000 personnes adhèrent à ce régime, contre un peu moins de 250 000 « intermittents » en France pour l'année 2019 ; 62 % d’entre elles sont des artistes plasticiens ou des musiciens, 24 % des auteurs, traducteurs et journalistes, et 14 % des personnes travaillant pour les arts vivants.

Le 27 mars 2020, la ministre du Travail Murielle Penicaud et son homologue Franck Riester font paraître l'Ordonnance n° 2020-346 « portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle ». Comme le rapporte le communiqué de la CGT Culture du 31 mars 2020, « tous les employeurs publics ou subventionnés ont l’injonction ministérielle [...]» d'honorer les contrats et ainsi la possibilité de se déclarer en activité partielle. Quès acco ?

« L’activité partielle est un dispositif qui permet aux entreprises de réduire ou d’arrêter provisoirement leur activité en raison de difficultés particulières. Durant cette période, ces entreprises perçoivent une allocation qui couvre le paiement d’une indemnité proportionnelle au salaire des salariés qui ont été contraints de réduire ou de cesser le travail dans ces circonstances. »


L'activité partielle permet à une entreprise de déclarer ses employés en chômage partiel. L'Etat couvre alors les salaires à hauteur de 70%, ce qui n’exclut évidemment pas les employeurs de payer les 30% restants. Ainsi, les intermittent.e.s qui devait normalement travailler sur la période pendant laquelle les salles sont fermées devraient voir leur cachets honorés au strict minimum, un minimum qui fut annoncé hier : 7 heures -à mettre en perspective avec les 12 heures journalières normalement cumulées pour les artistes. Mais, car il y a toujours un mais, cela implique encore que les entreprises jouent le jeu, ce qui n'est pas le cas partout. On apprend ainsi dans un article de Guy Dutheil pour Le Monde que la direction du célèbre parc d'attractions Disneyland Paris, à la date du 1er Avril (toujours un parfait sens du timing), a envoyé un courriel au 350 intermittent.e.s prévu.e.s pour des exploitations jusqu'au mois de juin afin de leur demander d'accepter « la rupture anticipée d’un commun accord [du] contrat de travail à compter du premier avril 2020 ». On apprend également que quelques jours plus tôt, les CastManagers de cette firme ont appelé nombre d'intermittent.e.s pour les inviter à accepter cette future demande, sous peine d'être radié du réseau Disney. Il va sans dire que pour beaucoup, ces contrats représentent un nombre d'heures exceptionnelles et irremplaçables. Heureusement que Disney+ est sorti pour les occuper.


Heureusement, cet exemple ne représente pas l'ensemble du monde du spectacle et les initiatives solidaires se mettent en place. Audiens, le CNC et les DRAC sont actuellement en relation avec le ministère pour trouver comment sauver le plus de monde possible. Mais la réalité sur le terrain est dramatique et c'est maintenant tout une saison culturelle qui s'envole. Pour beaucoup de festivals, les frais de cet été sont déjà engagés. Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon, enjoint dans une lettre ouverte le gouvernement de se positionner sur l'annulation ou non des événements de la saison estivale. Pour une raison simple : les frais engagés ne peuvent être renégociés si l’État ne statue pas sur la tenue des événements. Dans l'attente, les banques et assurances refusent toute renégociation budgétaire, certaines compagnies annulent, d'autres pas, certaines personnes ont contracté le virus ; en bref, la tenue des événements de cet été est plus qu'incertaine, ce qui est dramatique dans la mesure où c'est la saison lors de laquelle la majeure partie des quotas d'heures sont atteints. Au regard du précipice qui s'annonce, l'aide de l'Etat paraît bien dérisoire, mais -soyons francs- à quoi nous attendions-nous ? Il n'est plus question d'amateurisme, mais bien d'inconscience. Malgré les nombreuses questions de l'intersyndicale, les réponses sont données au compte-gouttes ; la question du GUSO (Guichet Unique du Spectacle Occasionnel) n'est toujours pas réglée, de même que la question des interventions en milieu scolaire. Parmi les événements à venir, beaucoup on déjà été annulés tandis que d'autres espèrent toujours voir leurs dates reportées. « C'est le flou total » entend-on un peu partout. Le report des échéances ne change rien au fait que la reprise des activités semble impossible à anticiper. Encore et toujours, le ministère communique peu, si ce n'est pour remercier les gens qui souffrent. Le décret d'application des mesures annoncés n'a toujours pas été promulgué ; difficile de savoir véritablement comment tout ceci va finir. Finalement, on reconnaît bien la méthode Riester, qui brillait déjà par son absence avant la crise sanitaire.

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