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[Dossier] Petite histoire des politiques culturelles - Troisième ép. : Révolution et droits d'auteur

Dernière mise à jour : 7 déc. 2020

Révolution Française, apparition des droits d'auteur, censure et premiers pas vers une libéralisation du monde théâtral


par Vassili


À partir de la fin du XIXe siècle, l'expression théâtrale se renouvelle entre autres par le biais du metteur en scène. On dirige ainsi la représentation par le biais d'une personne qui n'est pas auteur de la pièce, ni un comédien qui va la jouer. Le metteur en scène s'applique à mettre en ordre la scène de manière à ce que le propos du texte trouve une finalité cohérente sur le plateau. Mais comment faisait-on avant l'apparition de la « mise en scène » ?


Jusque lors, les pièces de théâtre étaient écrites par un auteur -anonyme ou non- et ce texte était vendu à une troupe qui en faisait grossièrement ce qu'elle voulait. En fait, jusqu'au XVIIe siècle, il n'existe pas de droits d'auteur en France : ce sont les libraires et les imprimeurs qui disposent de facto de droits sur les œuvres. Les textes sont ainsi régulièrement plagiés, copiés, transformés, et ce commerce commence à être rentable avec le développement des technologies d'impression. Dans le cadre du théâtre, c'est la troupe qui dispose des droits de représentation qui dispose donc d'une forme de droits sur une pièce. Cette absence de droits d'auteur et la capacité à transformer et changer les écrits permet de s’interroger sur la valeur sacrée des textes de notre répertoire classique, qui ont certainement évolué au fil des époques pour ceux dont on ne dispose pas d'originaux.


C'est un point important, en particulier pour le théâtre et les expressions vivantes : les textes classiques dont nous disposons ont formé ce que l'on appelle un « Répertoire ». La notion de répertoire représente d'une part toutes les pièces auxquelles on peut avoir accès, à toutes les époques ; en ce sens, le répertoire théâtral contemporain représente toutes les pièces des auteurs de la deuxième moitié du XXème siècle à aujourd'hui. Mais cette notion dispose d'autre part d'un second sens, celui de regrouper les pièces proprement dites de « répertoire », c'est-à-dire des pièces qui font office de pilier de notre culture, des pièces considérées par la communauté intellectuelle comme étant des grandes œuvres, ce que l'on pourrait parfois nommer, de manière générique, les pièces classiques. Cette notion inclut des œuvres contemporaines et plus anciennes. Molière (XVIIe), Hugo (XIXe), Koltès (XXe), sont tous trois des auteurs du répertoire théâtral français.


Mais comme nous l'avons souligné, l’absence de droits d'auteur et le fait que les troupes détiennent une liberté d'action sur les écrits jusqu'à la fin du XVIIIe siècle pose question vis-à-vis de cette période du répertoire. En effet, nous portons un regard pesant sur ces écrits, on leur offre une valeur très grande, les œuvres sont des pièces intouchables et immuables de notre histoire. On ne touche pas à Molière, ni à Corneille ; or ces deux auteurs ont écrit dans un contexte où le texte n'était pas forcément conservé comme aujourd'hui. Ces textes ont donc pu évoluer au cours des siècles, contraignant ainsi le lecteur à rester critique vis-à-vis de ce répertoire théâtral classique.


Un auteur de théâtre va donc théoriquement écrire une pièce et la vendre une seule fois, sans pouvoir toucher davantage de recettes dessus et sans être capable de s'assurer que le texte ne soit pas transformé. La troupe qui dispose du texte théâtral dispose ainsi rapidement d'une exclusivité de représentations. C'est bien elle qui va toucher de l'argent pour la représentation et rien ne sera reversé à l'auteur. Comment les artistes survivent alors sans cette rente ?


Sous l'Ancien Régime, les artistes arrivent à vivre principalement grâce au mécénat mis en place par les nobles. L'artiste est le protégé d'un aristocrate ; ce n'est pas un emploi, il n'y a pas de salaire à la clef et il dispose d'un statut propre (comme le salarié, le fonctionnaire ou autre) ; ce n'est ainsi pas un dispositif à but proprement économique. Les artistes doivent remplir des missions d'éducation, de divertissement en l'honneur de leur mécène. C'était le cas de très nombreux artistes à la Renaissance et durant la période classique, tels que De Vinci, La Fontaine ou encore Molière. Cela pose un rapport particulier entre le souverain ou le noble et l'artiste qui est à son service, et inclut évidemment un rapport hiérarchique -et donc une censure potentielle. Néanmoins, l'absence d'intérêt économique et la proximité qu'entretiennent les artistes et leur maître pose un rapport d'échange. L'artiste apporte à l'aristocratie culture, savoir, connaissances : il n'est donc pas forcément logique de le censurer si ce dernier trouve une bonne manière de choisir ses cibles. Rappelons d'ailleurs que les auteurs de la Renaissance et de la période classique sont souvent des personnes multi-disciplinaires, possédant tout à la fois des connaissances en mathématiques, physique, philosophie, musique, théologie, etc. Ce ne sont pas des spécialistes, mais ils disposent d'un éventail large grâce auquel se rendre utile. Leur mission est ainsi de pouvoir faire rayonner leur mécène, de lui apporter du crédit intellectuel auprès des autres membres de son rang, et permet en retour à l'artiste de, tant bien que mal, faire ce qu'il souhaite.


La tragédie est réservée aux héros et les héros sont nécessairement aristocrates

Pour en revenir au théâtre, à partir du moment où la troupe récupère un texte et projette de le jouer, elle peut en faire ce qu'elle veut. Les acteurs eux-mêmes décident de ce qu'ils vont faire, sans réelle directive. L'expression artistique est chaotique : tout le monde fait, pour ainsi dire, ce qu'il veut dans son coin et la réputation ou la notoriété de certains comédiens n'aide pas à structurer la représentations. Si les Lettrés, au XVIIe siècle, imposent des règles d'écriture des pièces classiques, cela n'a pas pour effet de structurer les représentations. Les acteurs persistent à faire ce qu'ils veulent. Des règles portent sur les textes, majoritairement sur les tragédies classiques, ce que l'on résume souvent par la règle des trois unités -unité de lieu (la trame doit se dérouler dans le même espace, souvent un lieu de passage), unité de temps (la trame doit se dérouler en 24 heures maximum), unité d'action (il ne doit y avoir qu'une seule histoire à suivre, pas d'éléments secondaires à la trame). On impose également la bienséance, c'est-à-dire qu'on ne meurt pas sur scène, on n'y est pas nu, on n'y mange pas (ou toute autre action banale), on ne va pas à l’encontre des mœurs politiques et religieuses. Par ailleurs, les sujets des pièces suivent des règles qui sont liées au pouvoir en place. Les sujets tragiques classiques (les pièces de Racine, par exemple Britannicus ou encore Bérénice) doivent présenter des personnages issus de l'aristocratie. Les Lettrés prônent enfin la « vraisemblance », ce qui n'a aucun lien avec la volonté d'être réaliste -d'autant que les pièces sont déjà contraintes par des règles qui ne poussent pas au réalisme-, mais revendique que les pièces soient vraisemblables selon les codes de l'époque : un héros ne peut donc être autre chose qu'un roi, selon cette logique. La tragédie est réservée aux héros et les héros sont nécessairement aristocrates. Sous l'Ancien Régime, les personnages comiques sont d'ailleurs des roturiers, souvent des petits bourgeois : ce ne sont pas des aristocrates, les construisant ainsi comme personnages dont on se moque.


Il est à noter que le développement du drame bourgeois au XVIIIe suit l'évolution du pouvoir bourgeois. En effet, on arrête de les prendre uniquement comme sujets comiques pour les inclure dans des pièces où la frontière entre la tragédie et la comédie commence à s'étioler. Le drame bourgeois des auteurs du XVIIIe, Beaumarchais en tête, entremêle des codes d'écriture de la tragédie et de la comédie pour en faire des histoires qui vont parler davantage à ce corps social en extension. Le pouvoir et la place que ce dernier occupe dans la société grandit et a ainsi besoin d'assister à ses propres histoires pour se sentir représenté. Ce sont d'ailleurs Beaumarchais et Diderot, à l'origine de ce type de drames, qui vont importer une idée nouvelle, déjà présente à l'étranger : celle des droits d'auteur.


Dans un contexte où le capitalisme moderne va constamment viser la plus haute rentabilité possible, les arts ne vont pas faire exception à la règle

Beaumarchais fonde le 3 juillet 1777 la première Société des Auteurs et suite à cette impulsion, l'Assemblée constituante vote le 13 janvier 1791 la reconnaissance des droits d'auteur en l'inscrivant dans la loi. Cela libère les auteurs de la pression des troupes et des commandes, mais également du mécénat, qui disparaît avec la Révolution. En réaction, les auteurs entrent néanmoins dans une logique purement marchande et structurent peu à peu une dynamique de rentabilité de leurs travaux. Rappelons-nous : le mécénat n'incluait pas en premier lieu, à l'inverse des droits d'auteur, de notion économique dans son contrat. L'artiste était protégé et contraint par un aristocrate, mais l'art n'était pas contraint par le vecteur économique. Or, l'entrée en vigueur des droits d'auteur est une entrée des auteurs sur le marché économique, qui se fait juste avant la révolution industrielle, à l'aube du XIXe siècle, dans un contexte où le capitalisme moderne va constamment viser la plus haute rentabilité possible ; les arts ne vont pas faire exception à la règle.


1789 : la Révolution déborde de toutes parts le théâtre parisien

Lors de la Révolution française de 1789, la création théâtrale vit un essor fantastique. On compte un nombre de créations sans précédent, ce qui est assez logique à la vue de l'effervescente période sur les plans politiques, sociaux, philosophiques, géographiques et bien évidemment artistiques et culturels. On voit apparaître de nombreux théâtres et nombre de pièces sont écrites quotidiennement. Le théâtre devient, comme le titre Anette Graczyk, « un média de masse entre 1789 et 1794 ». Les sujets des pièces s'imprègnent de la Révolution et deviennent vecteurs d'idées révolutionnaires, bien loin des sujets classiques des tragédies et des comédies. La Révolution déborde de toutes parts le théâtre parisien, doté d'un pouvoir très fort depuis quelques deux cents années. Des pièces sont jouées partout et s'expriment sur tous les sujets, les pro-révolutionnaires comme royalistes, anti-jacobins, défenseurs de la laïcité, etc ; toutes les idées de l'époque transpirent dans les expressions théâtrales de la période révolutionnaire. Tant et si bien qu'après avoir aidé la révolution, le théâtre sera rapidement brimé par le gouvernement. En 1794, la censure est officiellement remise au jour pour éviter que des pièces aux propos royalistes ne fleurissent partout dans Paris.


Le Décret sur le théâtres de 1807 va plus loin et fixe le nombre maximum de salles à Paris à huit afin d’empêcher un trop grand espace d'expression et de mieux les contrôler. Ainsi, ces théâtres ne sont autorisés qu'à jouer certains styles de pièces. Les tragédies sont jouées exclusivement au Théâtre-Français (nom de la Comédie Française sous Napoléon), et ne peuvent plus être représentées au Théâtre des Variétés. À l'inverse, les pièces comiques (souvent grivoises) qui sont jouées au Théâtre des Variétés n'ont plus droit de cité au Théâtre Français.


On peut noter, par ailleurs, que ce type de décision ne relève pas du ministère des affaires culturelles ou de la culture, simplement car il n'est pas encore existant (sa première version date de 1959). Comme il en a été fait mention précédemment, les lois relevant des affaires culturelles sont gérées par d'autres ministères. Ainsi, en 1807, c'est le ministère de l'Intérieur qui met en place ce décret pour limiter les troubles à l'ordre public liés aux salles de spectacles, qui étaient en plein essor depuis la Révolution française. En la matière, la saisie de ce ministère en particulier soulève le point intéressant que l'art est traité comme un danger pour l'ordre public, tout du moins le théâtre, par les autorités de l'époque... Sans grand étonnement, ce décret sera maintenu après la chute de l'Empire. Ce n'est qu'en 1864 que Napoléon III signe un décret visant à libéraliser l'activité théâtrale et la fondre complètement dans le système économique déjà libéral du Second Empire.


 

Appendice : parenthèse autour du terme « classique »


Ce terme revient à tire-larigot lorsqu'il est question d'arts et de culture. Il regroupe un grand nombre de sens différents et il ne faut pas se laisser avoir, car ce dernier peut très vite devenir un grand fourre-tout. C'est d'abord une référence à l'époque classique, c'est-à-dire celle de l'Âge d'Or athénien dans l'Antiquité (grossièrement les VIe et Ve siècles avant notre ère), période dont va conséquemment s'inspirer tout un courant de pensée à la Renaissance en Occident, c'est-à-dire à partir du XIV-XVe siècle. Le cœur de la pensée de la Renaissance est de se placer en opposition à la culture médiévale. Le terme « Moyen-Âge » apparaît d'ailleurs en Italie à cette époque (peut-être sous la plume de l'historien Flavio Biondo né en 1388 ou 1392 et mort en 1463), comportant un sens très péjoratif, celui d'une période moyenne, sans intérêt, où l'humanité aurait au mieux stagné, au pire régressé. La renaissance, en opposition à cette époque pourtant extrêmement innovante, s'inspire alors d'un passé perçu comme plus glorieux : l'époque classique de la Grèce Antique.


Cette inspiration va déboucher sur la création de la perspective par plans, l'architecture changeant pour se rapprocher de celle de la Grèce Antique -un trait qu'on retrouve dans l'architecture napoléonienne, inspirée cette fois, par une symbolique et un opportunisme politiques évidents, plutôt par le modèle romain antique. On nomme donc régulièrement « classique » ou « néo-classique » à peu près tout ce qui découle de cette époque. C'est le cas par exemple pour la musique occidentale, qu'on nomme vulgairement « musique classique ». Or, la « musique classique » est un mouvement du XVIIIe siècle, qui apparaît légèrement après le Classicisme, qui est lui-même un mouvement artistique à part. Vous suivez ? On a donc tendance à nommer abusivement « classique » tout ce qui sort de cette période. De fait, le terme permet peu à peu de nommer tout ce qui est ancien, tout ce qui référence et finalement tout ce qui fait autorité en matière artistique. On parle d'ailleurs des « classiques » pour nommer le savoir de base, pour nommer ce qui sert de fondations à l'étude et à l'enseignement. Le terme « classique » représente donc à la fois l'Antiquité grecque et l'inspiration qu'en ont eu les occidentaux près de deux mille ans plus tard, jusqu'à nous faire peu à peu utiliser le « classique » pour nommer ce qui est la base, ce qui fonde notre savoir et notre culture collective.

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