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Le shopping de seconde main au secours de la planète ? Le cas controversé du géant Vinted

Dernière mise à jour : 21 mai 2020


par Elodie


Nous sommes le 11 mai 2020, jour de déconfinement et de stupeur pour de nombreux habitants de centre-villes qui assistent, circonspects, à un spectacle des plus déstabilisants : des files d’attentes impressionnantes se sont formées dès le petit matin devant les plus grands magasins de France.


Il y a de quoi s’interroger sur les priorités de certain.e.s de nos concitoyen.nne.s qui se ruent, à peine la liberté retrouvée, sur cette industrie -aussi réconfortante que dévastatrice- pour simplement… consommer. A quel point sommes-nous formaté.e.s à l’achat, à la dépense pour que ce soit finalement l’une des choses qui nous manquent le plus après des semaines passées à rester chez soi ? L’argent nous brûle-t-il les doigts à un degré tel que nous ne pouvions pas rester une journée de plus sans le donner avec plaisir à l’une des multi-nationales les plus puissantes de la planète ?


Conclure, -à la manière des centaines de « twittos » outrés par une telle indécence- que nous ne sommes que des consommateurs-zombies lobotomisés et avides de nouvelles petites chaussures semble un peu -beaucoup- trop simple. On va plutôt essayer de prendre son temps, un peu de recul, de comprendre pourquoi on agit de cette façon et comment on tente de remédier à ça en changeant petit à petit nos habitudes de consommation face à un secteur qu’on a tous un peu honte d’aimer : la mode.


Ce dernier, avec ses 20% de rejets d’eaux usées et ses 10% d’émissions de CO2 mondiales au compteur, fait partie des pires élèves de la planète en matière de pollution. Symbole de la consommation de masse, la fast fashion illustre à elle-toute seule tous les problèmes d’une même société et, tragiquement, se porte comme un charme. En effet, même si l’annonce de la faillite de la marque Forever 21 à la fin de l’année 2019 a suscité un léger espoir, les plate-formes en ligne n’ont cessé d’augmenter leurs profits.Au cours de l’année 2019, le cours de l’action Boohoo a presque doublé. Le géant britannique -qui possède aussi les marques PrettyLittleThing et Nasty Gal- a fièrement affiché une croissance de 38% par rapport à 2018. Le cours de l’action ASOS finit 2019 à la hausse, comme celle de l’américaine Revolve qui conclue l’année avec une augmentation de 15% de ces ventes.


Et pour continuer à voguer sur les eaux merveilleuses de l’achat massif et compulsif, ces marques -accompagnées d’autres mastodontes tels que Missguided- ont noué un partenariat avec la société suédoise Klarna qui permet aux consommateurs de payer leur commande uniquement lorsqu’ils la reçoivent. Service présenté comme révolutionnaire, il n’en reste pas moins une tactique marketing ingénieuse qui permet de pousser les jeunes avec peu de pouvoir d’achat à passer commande, misant sur leur euphorie pour noyer dans le beurre la casserole d’épinards.


Malgré tout cela et la période incertaine dans laquelle nous vivons depuis le mois de mars, les paniers virtuels et autres wishlists ont explosé sur les sites de prêt-à-porter. Il faut bien comprendre que cette envie -voir ce besoin- d’acheter des vêtements présente une grande part d’irrationnel et en révèle plus qu’on ne le pense sur notre état, tant physique que mental. Pendant le confinement, nombreux sont les philosophes ayant interprété ces « pulsions » comme l’illustration du besoin d’appréhender l’ « après » et de le préparer du mieux possible : on a hâte du retour à la normale, on s’imagine déjà flâner en terrasse, entouré.e.s de ses ami.e.s, cheveux et nouvelle petite chemise au vent. On se sent libre, bien dans sa peau. Et c’est là que réside le vrai pouvoir de la mode, vêtu de son plus bel habit de superficialité et d’auto-satisfaction.


Ne vous méprenez-pas sur l’aspect apparemment moralisateur de cette petite tirade car se sentir bien et se plaire c’est TRÈS BIEN. Chacun.e. a pleinement le droit de se réconforter dans les manches d’une petite veste complètement superflue et de se faire plaisir en cédant aux sirènes d’une industrie qui ne sert, pour ainsi dire, qu’à ça. Pour être clair, il n’y a pas de mal à se faire du bien ! Sauf… qu’on est de plus en plus nombreux à prendre conscience des ravages humains et environnementaux de notre coquetterie et qu’à partir de là, c’est l’impasse.


Ce dilemme existentiel qui nous tiraille entre l’envie de « shopper » ce pour quoi on a économisé et la culpabilité que l’on ressent à investir dans l’inutile provoque bien souvent ce phénomène d’auto-flagellation répondant au doux nom de « Köpskam » (« honte de faire du shopping » en suédois). Pour pallier à ce sentiment et tenter de faire cohabiter paisiblement nos principes, notre apparence et notre porte-monnaie, nous sommes de plus en plus nombreux.ses à opter pour des vêtements de seconde main. Si cette pratique était autrefois mal perçue et réservée aux magasins de troc et autres brocantes, la création de boutiques d’occasion estampillées « vintage » et l’essor fulgurant des friperies dans les années 2000 ont permis de redorer l’étiquette de notre vieux jean Levi’s.


Petit tour d’horizon du marché de la seconde main


Aux Etats-Unis, les produits de seconde main représentent 6% des achats mode quand les enseignes de prêt-à-porter dites de fast fashion atteignent 9%. Une étude menée par Thred Up estime qu’en 2028, la part de la seconde main devrait doubler jusqu’à 13 % des achats, quand la fast fashion en resterait à 9 %.Pour parler gros sous, le chiffre d’affaires de l’occasion devrait grimper à plus de 64 milliards de dollars d’ici à 10 ans.


En grande majorité, ce sont les jeunes qui sont en tête du classement des acheteurs de produits de seconde main : les 25-37 ans sont les plus gros consommateurs d’occasion, représentant 33% du marché, suivis de près par les 18-24 ans qui composent 16% du total. Cette dernière portion est celle qui croît le plus rapidement et qui semble représenter l’avenir du secteur : ils étaient 46% plus nombreux en 2019 qu’en 2017.


La France, toujours à la pointe des tendances, se rue elle aussi sur la seconde main. C’est dans une étude publié par Fashion Network que l’Institut Français de la Mode (IFM) constate cet essor fulgurant. Depuis une décennie, le marché explose et sa cote ne cesse de grimper aux dépens du secteur de la mode et du textile qui a perdu 15% de sa valeur en dix ans. Pascale Hebel, directrice du pôle consommation et entreprise au Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie (Credoc) indique que « la proportion de Français qui achète de l’occasion est passée de 25 à 48% entre 2009 et 2018. »


La seconde main dans l’air du temps : essor du vintage, prises de conscience et numérisation de la vente d’occasion


Cette croissance - exceptionnelle pour un secteur commercial - est liée à tois phénomènes assez distincts et finalement, assez complémentaires.


  • La mode Vintage

Le premier déclencheur est incontestablement l’essor de la mode dite « Vintage » dans les années 2000. Les plus grands couturiers s’en emparent et redorent l’image du vêtement trop grand, du motif vieillot et des jeans taille très haute. Les boutiques de vêtement d’occasion se modernisent et fleurissent un peu partout, des grandes villes jusqu’aux plus petites communes. Dans la capitale, ces nouveaux temples du style surfent sur la tendance, faisant cohabiter les sacs de luxe de nos grand-mères avec des petits shorts en jean coupés au cutter et revendus jusqu’à 20 fois leur prix d’achat.Au delà de la mode, ce sont les mentalités qui changent : acheter une pièce coûteuse ne suffit plus à se distinguer socialement à l’heure où les vrai.e.s gourous de la mode s’affichent désormais fièrement avec des pièces « uniques » payées une vingtaine d’euros.


  • La question de l’éthique

Cette tendance arrive relativement au même moment que la prise de conscience généralisée des impacts environnementaux et humains catastrophiques du prêt-à-porter qui ne cesse d’afficher des prix toujours plus bas, en délocalisant ses usines dans les pays les plus pauvres du monde. Les premiers adeptes de la seconde main, les associations de défense de l’environnement et des travailleurs du textile - à l’instar du collectif « éthique sur l’étiquette » ou de l’organisation européenne « Clean Clothes Campaign » - ne cessent d’alerter sur les dangers du mass market et commencent doucement à se faire entendre aux plus hauts niveaux institutionnels et étatiques.


Malheureusement, « doucement » s’avère être « beaucoup trop doucement » puisque la catastrophe arrive trop vite, trop fort et provoque une onde de choc si terrible qu’elle enterrera à elle-seule l’impunité générale qui régnait jusque alors, tant du côté des dirigeants que des consommateurs. Le 24 avril 2013, le Rana Plaza, une usine textile située à Dacca au Bangladesh s’effondre après que de nombreuses travailleuses aient alerté, en vain, sur la présence de fissures dans le bâtiment. 1138 ouvrières périssent dans ce drame et plus personne ne peut prétendre qu’il ne connaissait pas la dangerosité de leurs conditions de travail. Des étiquettes estampillées Benetton, Camaïeu et Auchan -entre autres- retrouvées parmi les débris lèvent de force le voile que nous maintenions jusque alors bien volontiers devant nos yeux. La législation évolue alors très vite avec l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance destinée à responsabiliser les décideurs de l’industrie textile. Ils sont désormais dans l’obligation de cartographier les risques environnementaux et sociaux et à publier un plan destiné à les prévenir. Cette loi, fortement combattue par les organisations patronales, a eu le mérite de faire émerger une concertation sans précédent entre les élus, les acteurs de la société civile et les syndicats.


  • La numérisation de la vente d’occasion : essor logique d’un secteur rentable

C’est seulement sur ce tissu social et législatif que le numérique - en même temps que la mode « éthique » - a pu se développer et faire de la seconde main l’un des marchés les plus rentables de l’industrie du textile.


En Europe, plusieurs sites tiennent la tête de ce nouveau marché : d’abord, United Wardrobe, le jeune néerlandais qui mise sur la vente aux enchères et les beaux produits d’occasion. Ensuite, le français Vestiaire Collective, beaucoup plus select, spécialisé dans la revente de produits de luxe d’occasion. Vinted enfin, fondé en Lituanie en 2008 et devenu une véritable référence en la matière. Pariant sur la vente, l’échange et l’achat de produits de seconde main, souvent à très bas prix, le vendeur y est roi. Il peut vendre ce qu’il souhaite au prix qui lui convient. Un « espace discussion » très facile d’utilisation permet de les mettre en contact avec leurs acheteurs potentiels et de négocier, discuter, à la manière d’une brocante en ligne. Avec ses quelques 21 millions de membres (dont la moitié sont français), ses 1,5 millions de visiteurs quotidiens et sa valeur évaluée à plus d’un milliard d’euros, Vinted survole le marché et a durablement fait entrer la seconde main dans les habitudes de consommation des français.


Comment ? Pourquoi ? Décryptage.


Valeurs environnementales, prix sur-compétitifs, plaisir de chiner en ligne : d’où vient l'engouement pour le géant lituanien ?


Afin d’avoir une petite idée de la recette du succès de Vinted, nous avons diffusé un questionnaire dont la centaine de réponses servira d’éclairage aux autres données que nous avons pu récolter. A noter que seules les personnes ayant déjà utilisé Vinted au moins une fois ont été invitées à répondre à ce questionnaire.


La première chose que nous avons pu observer est que la majorité des sondé.e.s a commencé à utiliser le site il y a un, deux ou trois ans. Comme pour toute entreprise, il semblerait que l’utilisation massive de la publicité (notamment télévisuelle) que Vinted met en place depuis 2018 ait porté ses fruits. En s’offrant de nouvelles campagnes tous les 3 mois, la plateforme a gagné en notoriété et le volume de transaction entre juin 2018 et juin 2019 a éte multiplié par 3.


Vinted aurait-il permis de remplacer les achats de produits neufs ? Favoriserait-il des habitudes de consommation différentes comme l’achat de produits de seconde main dans d’autres structures (friperies, brocantes, magasins de troc ou de revente d’occasion)? Pour étudier cela, il a été demandé au panel de nous dire combien, sur la base de leur dix derniers achats, avaient été achetés sur Vinted, puis dans d’autres enseignes de friperie et enfin, neufs (que ce soit en ligne ou dans un magasin de luxe / prêt-à-porter).


Il s’avère que dans la majorité des cas (18,3%), aucun des dix derniers articles achetés ne l’a été via la plateforme Vinted.


De plus, 55,9% des sondé.e.s déclarent n’avoir acheté aucun de leur dix derniers articles dans d’autres enseignes de seconde main.


Sur ces dix derniers achats, 17,2 % des sondé.e.s déclarent en avoir achetés 2 en ligne ou magasin de produits neufs, 15,1 % n’ont achetés aucun article neuf et 11,8 % en ont acheté 8.


Si ces résultats ne représentent qu’un minuscule échantillon de la totalité des utilisateurs de Vinted, il permettent toutefois de mettre en lumière quelques phénomènes. En effet, il semblerait que l’utilisation de Vinted n’encourage pas nécessairement la consommation de seconde main dans d’autres enseignes. L’achat de produit textile reste majoritairement réservé au neuf et il apparaît que l’utilisation de Vinted ne soit pas encore devenu un réflexe mais reste plutôt une démarche ponctuelle.


La croissance extraordinaire du site -accompagnée de la communication de ses dirigeants- peut finalement fausser l’interprétation que l’on a des habitudes de consommation des amateurs de Vinted : si il est vrai que le nombre de consommateurs qui choisissent ponctuellement de faire leur shopping sur Vinted a fortement augmenté, cela ne veut pas dire que ces derniers ont délaissé le neuf pour autant. L'idée selon laquelle Vinted serait le premier ambassadeur de la seconde main en France et qu’il ait contribué, voire impulsé, une certaine révolution dans le monde de la mode se doit d’être nuancée. Tout comme le fait que son succès soit synonyme de changement des mentalités et des moeurs.


Concrètement, la question qu’il faut se poser n’est pas forcément de savoir combien de personnes utilisent le site mais plutôt d’analyser les raisons qui les poussent à adopter ce type de consommation.


Notre questionnaire a révélé deux facteurs explicatifs relativement distincts qui semblent en concordance avec les études à plus large spectre qui ont été menées par l’entreprise elle-même.


  • Le facteur économique


A la question « quelle est la raison principale pour laquelle vous utilisez Vinted ? » - avec la possibilité de donner deux réponses maximum- le facteur économique arrive largement en tête, avec 65,2% des réponses. Selon l’Institut Français de la Mode (IFM), le prix serait un argument de vente encore plus décisif puisqu’ils concerneraient 75% des consommateurs de seconde main.





Cette large proportion permet d’apporter un éclairage sur le public-cible de l’enseigne. En effet, parmi nos enquêté.es, 55,4% déclaraient avoir un budget mensuel moyen de moins de 50 euros pour leurs achats textiles (ceux de leurs enfants inclus).


Vinted est un site très grand public avec un catalogue énorme, beaucoup d’articles à très bas prix et la possibilité de vendre des lots, notamment pour les vêtements de bébés et d’enfants. Pour beaucoup de petits portes-monnaie, Vinted est bel et bien une révolution. Il est désormais possible de trouver des vêtements sur lesquels on avait craqué en magasin sur le site, à prix cassé et en très bon état, voire jamais portés. Quand on sait que les 18-37 ans font vivre à eux-seuls 50% du marché, le facteur économique semble évident, tout autant qu’il s’accompagne d’une volonté claire de réduire son empreinte écologique et sa consommation de fast fashion.


« La grandeur du capitalisme, c’est de savoir tout récupérer »

- Isabelle Barth, professeure-chercheuse en science du management


  • Le facteur écologique


En effet, 50% des répondant.e.s pointe le souci écologique et éthique comme l’une des deux raisons principales qui les poussent à se tourner vers la seconde main. Et c’est alors qu’on se pose la question de la consommation globale de produits textiles : l’utilisation de Vinted a t-elle permis de réduire les achats de neufs ? Les achats de vêtements en général ? Quid des utilisateurs qui revendent leurs vêtements pour en racheter des neufs ? Visiblement, l’utilisation de Vinted donne à plus de 60% de notre panel la nette impression de consommer moins de vêtements neufs qu’auparavant.




Dans la même logique, 68% des sondé.e.s ont le sentiment d’acheter plus d’articles de seconde main depuis qu’ils / elles utilisent le site.


Cette question, ayant pour but de quantifier non pas des faits mais des perceptions, est assez révélatrice lorsqu’on l’analyse au regard des dix derniers articles achetés et que l’on se rend compte qu’ils ne le sont majoritairement pas sur Vinted. Une fois encore, la popularité du site ne peut en aucun cas être considérée comme révélatrice d’un réel changement des habitudes de consommation qui privilégieraient la seconde main au neuf. Pour affirmer cela, la fréquence d’achats d’occasion devrait être comparée et prouvée supérieure à la fréquence d’achats de neuf. Au vu de nos résultats et des autres données quantitatives que nous avons récolté, il semblerait que l’on en soit encore très loin.


Malgré tout, acheter moins de neuf grâce à Vinted est incontestablement une bonne chose tant cela permet le roulement de milliers d’articles de seconde main en France et à travers le monde. 30% de notre panel affirme tout de même utiliser le site pour vendre ses vêtements afin d’en racheter d’autres de seconde main quand seulement 17% le font pour en racheter des neufs. Les fonctionnalités du site qui permettent l’échange, la réduction de prix en cas d’achats en lot, les discussions privées entre vendeurs et acheteurs ou encore la facilité de recherche par taille, prix, couleur ou marque favorisent la proximité, l’aspect humain des transactions et encouragent incontestablement à un achat massif de seconde main au profit du neuf.


Vinted, bon petit soldat de la fast fashion ?


Alors où est le problème ? Une entreprise qui se fonde apparemment sur de nobles principes et encourage l’économie circulaire, ne serait-ce pas le début d’une nouvelle ère, infiniment bénéfique pour la mode et la planète ? Et bien, non.


Il faut comprendre qu’au delà des chiffres et des messages marketing affichés par les dirigeants du site, Vinted reste une entreprise à but purement lucratif qui a choisi de générer du profit, non pas grâce la consommation de seconde main, mais grâce au caractère massif de cette même consommation.


Elodie Juge, docteure en sciences de gestion à l’université de Lille a écrit une thèse sur le sujet et explique clairement les mécanismes qui permettent à Vinted de vendre toujours plus et de finalement faire les choux gras de la fast fashion. Elle s’est très vite rendu compte que le « but des utilisatrices est de faire de la place dans leur armoire pour pouvoir racheter toujours plus. » Elles vendent pour gagner de l’argent et le réinvestir sans cesse, contribuant ainsi à ce renouvellement incessant des vêtements et des collections distribuées par l’industrie du prêt-à-porter de masse. Beaucoup de ses sondé.e.s se disent formellement opposé.e.s à la fast fashion et admettent avoir beaucoup plus de facilités à contribuer à l’économie collaborative que favorise le site.


Chloé, une trentenaire adepte de la plateforme, n’achète plus de vêtements neufs car elle « refuse de donner son argent à cette industrie, au coeur de scandales aussi écologiques que sociaux ». Elle achète pourtant de nombreux articles provenant de ces grandes chaines sur Vinted mais « ce n’est pas pareil ». Elle justifie ce choix par l’économie collaborative : « Je donne de l’argent à une personne et non à la marque. Pour moi, c’est une autre économie, l’économie entre particuliers ».


Chloé n’a aucune conscience des mécanismes qui font que cette économie collaborative, à laquelle elle contribue fièrement, n’est autre que le revers reluisant d’une médaille bien moins vertueuse. Elodie Juge se penche sur ces mécanismes en insinuant que l’économie collaborative a parfois bon dos. L’important, ce n’est pas à qui on achète mais pourquoi on choisit de le faire : c’est dans l’étude des comportements des vendeur.euses que l’on trouve alors l’éclairage le plus pertinent.


En réalité, Vinted est présenté comme un espace où le consommateur décide de tout alors que c’est la plateforme qui décide. Elle incite fortement ses utilisateurs.trices à recourir à des méthodes de vente très proches de celles utilisées dans le marketing de masse pour « mieux vendre » : trois photos, le plus de lumière possible, des posts déguisés en conseils sur les forums du site, expliquant comment être le plus rentable possible. Finalement, le site induit des comportements et ses adeptes « deviennes des conso-marchand.e.s, acculturé.e.s aux techniques marketing sans avoir fait d’école de commerce mais en reproduisant tous les codes ». On se retrouve alors à jouer à la vendeuse sans vouloir se professionnaliser et sans qu’on s’en rende compte, Vinted fait de nous de « bons petits soldats de la société de consommation ».


Marie, étudiante de 20 ans, raconte avec quelle facilité le site lui a transmis la fièvre de l’achat : « Dans un premier temps, j’utilisais Vinted pour faire un peu de place dans mes placards et vendre quelques vêtements que je ne porte plus. Mais forcément, avec toutes les tentations, on renouvelle sa garde-robe ».


Pour Brenda, très sujette aux promotions sur les lots qui permettent de bénéficier de 30 à 50% de remise, le site est un « gouffre ». Là où elle n’aurait acheté qu’un article au coup de coeur ou par nécessité, elle avoue être « régulièrement tentée par les bonnes affaires » et finir avec plusieurs articles dans son panier.


Ces stratégies de fidélisation, couplées avec la communication massive de la plateforme qui nous rappelle quotidiennement ce que nous pourrions (aimerions) acheter en fonction de nos dernières acquisitions et donc, de nos préférences, suffit à remplacer le besoin par l’envie et donc l’achat raisonné par l’achat compulsif et… massif.


Le "greenwashing", aussi nommé écoblanchiment ou verdissage, est un procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation (entreprise, administration publique nationale ou territoriale, etc.) dans le but de se donner une image de responsabilité écologique trompeuse

Modèle de greenwashing ou symbole de la cause écologique ?


Plusieurs journalistes et chercheur.euse.s sont récemment monté.e.s au créneau pour dénoncer le greenwashing à priori évident de la plateforme, notamment auprès des jeunes.


Cependant, il semblerait que ces accusations soit davantage révélatrices de l’espoir qu’une entreprise de cette ampleur puisse réellement changer les choses et investir sur la protection de l’environnement que sur la réalité du discours de la marque. A propos de la question écologique, la plateforme est en réalité on ne peut plus claire dans son discours. Ce n’est pas une priorité et ça ne l’a jamais été. En témoignent leurs arguments marketing, constamment placés dans cet ordre de priorité : « Faites de la place dans vos placards », « Prenez soin de votre compte en banque » et en dernier lieu, « Prenez soin de la planète ».


Pour Thomas Plantenga, PDG de Vinted, ces accusations ne sont pas justifiées tant la plateforme ne s’est jamais faite la porte-parole d’un quelquonque message écologique : « Nous ne prenons pas position sur ce qui est bon ou mauvais pour l’industrie de la mode. Nous ne prétendons pas sauver la planête. Nos campagnes ne mettent pas en avant d’arguments concernant le développement durable comme d’autres peuvent le faire et nous préférons rester en dehors de ce débat. » Pour lui, Vinted n’est qu’un outil pratique permettant à ses utilisateurs de gagner de l’argent au lieu de jeter leurs vêtements. Comme il le martèle, Vinted n’a absolument pas vocation à se soucier de la qualité ou de la provenance de ce qui est vendu ou acheté. « Ce qui est vendu n’est que le reflet de ce que consomment les gens : de la fast fashion. On pourrait aussi argumenter que de vendre ses vêtements permet de gagner de l’argent et donc de permettre d’acheter des vêtements plus chers et de meilleurs qualité. »


Si l’on peut choisir d’entendre ce que l’on veut dans ce discours, il semble qu’il soit finalement bien plus révélateur de notre propre dissonance cognitive que d’une quelconque hypocrisie de la part des dirigeants du site. On choisit de se donner bonne conscience en achetant de la seconde main sur Vinted parce qu’on a de plus en plus envie que notre consommation soit en phase avec nos principes. Mais une chose est sûre : ce ne sont que les nôtres et Vinted n’y a jamais totalement adhéré. Pire encore : malgré ce que l’on aimerait croire, il semblerait qu’ils ne l’aient jamais prétendu non plus.


Revendre ou donner ? la solidarité à l’épreuve de la loi du marché


Cette nouvelle économie pose un dernier problème, et pas des moindres : on peut vendre ce que l’on veut pour le prix qu’on veut. Génial à première vue, catastrophique quand on creuse un peu.


N’êtes-vous jamais tombé.e.s sur une annonce pour un lot de tee-shirts ou de vêtements pour bébés à 1 ou 2 euros en vous demandant pourquoi la personne ne le donnait pas ? C’est tout bête et ça nous replonge dans la sociologie des comportements marchands. A partir du moment où il existe ce genre de lots ou d’articles à très bas prix, on va pouvoir les échanger. Si vous vendez un tee-shirt pour 2 euros, vous gagnez ces 2 euros sans avoir en tête de les garder mais avec la volonté de les réinvestir dans quelque chose d’un peu plus qualitatif. C’est exactement le même principe que le « jeu de la patate » on l’on commençait la journée avec une pomme de terre, un oeuf ou une balle de tennis et dont le but était de terminer avec quelque chose dont la valeur était 5, 10 ou 20 fois supérieure.


Vinted favorise ces mécanismes de négociation et d’échange comme aucun autre site avant lui et a réussi à rendre la consommation de vêtements beaucoup plus ludique qu’en allant simplement en magasin. Vous vendez, vous gagnez quelque chose en retour. Et comme vous choisissez ce que vous gagnez en retour, il y a de fortes chances que vous perceviez cela comme une bonne affaire. Vous jouez , ne perdez jamais et le circuit de la récompense vous pousse ainsi à continuer sans cesse. Un fort pourcentage des articles achetés sur Vinted est revendu sur la plateforme dans la même année et certain.e.s n’hésitent pas à tronquer ce petit jeu en achetant des articles en promotion pour les revendre ensuite à leur prix initial.


L’équilibre est à trouver dans le contrôle des produits mis en vente sur ce genre de plateforme. Contrôle que Vinted se refuse catégoriquement à mettre en place tant il permet aux utilisateurs de vendre des produits « en très mauvais état ». A partir de ce moment là, n’importe qui peut les acheter à un prix dérisoire et les revendre beaucoup plus chers dans le secteur informel, sur des marchés par exemple ou dans des pays beaucoup plus pauvres. Si l’on vend tout et n’importe quoi dans l’espoir d’une minuscule plus-value sur ce produit, on ne le donne plus et cela pose un énorme problème pour les réseaux solidaires type Emmaüs.


Pour Thomas Delattre, responsable d’études au sein de l’Institut français de la mode (IFM), ce système n’est viable que pour une entreprise à très grande échelle qui vend suffisamment pour être rentable en ne prenant que 5% de commission (la protection vendeur obligatoire de Vinted par exemple) sur un article vendu 2, 3 ou 5 euros. Pour les plus petits réseaux solidaires, cela est impossible et ils sont donc paradoxalement obligés de contrôler davantage la qualité des produits de seconde main qu’ils revendent :« Si vous ne collectez plus que des pièces mass market vendues à l’origine 5 euros, il va être difficile de rentabiliser sa revente. Ce qui n’est pas évident pour ces réseaux solidaires aux petits moyens financiers et humains ».Les produits sont donc de meilleure qualité mais ne rapportent rien à leur propriétaire d’origine qui, dans une pure logique de rentabilité, préfère les vendre sur Vinted que les donner.


Finalement, si la plateforme favorise et encourage la revente de seconde main, elle a surtout offert la possibilité de donner pour recevoir en échange : en fait, là où la récompense se trouvait auparavant dans le sentiment de contribuer à la solidarité en faisant don des ses vêtements, Vinted a réussi le coup de maître de nous donner bonne conscience tout en plaçant cette même récompense … dans notre porte-monnaie. Jamais un retour sur investissement n’aura été aussi réjouissant puisque, soyons honnêtes, on n’a jamais rien acheté avec de bons sentiments.


En définitive, que faire ?


Se tourner vers des produits éthiques, dans leur fabrication et leurs méthodes de commercialisation ? Mais dans ce cas là, que faire des centaines de millions de vêtements déjà produits par les grands de l’industrie textile ? Les laisser être détruits après l’empreinte humaine et écologique qu’ils ont déjà laissé ne serait-il pas contre-productif ? Continuer d’acheter de la seconde main quitte à entretenir un système que nous sommes désormais beaucoup à renier ? Choisir de n’acheter de la seconde main que dans des boutiques physiques ou des sites plus fiables ?


Vous n’aurez malheureusement pas de réponse ici. Comprenez bien que chaque décision quant à sa propre consommation reste une décision personnelle, qu’il convient à chacun et chacune de prendre selon son propre système de valeur. Cependant, à défaut d’être la meilleure, notre décision se doit aujourd’hui d’être prise en toute conscience des mécanismes qui nous poussent à la prendre, en restant attentifs au fait que Vinted, comme tant d’autres, n'ont pas construit leur business sur nos préoccupations écologiques et sociales.





Sources


Allo Conso, « Enquête : la face cachée du succès de Vinted », Blogs Mediapart, 28 septembre 2019 [en ligne]


Deslandes M., « Face au succès de Vinted, les enseignes traditionnelles s'essaient aussi à la seconde main », Fashion Network, 19 juin 2019 [en ligne]


Fisné A., « Vinted, quand l'économie circulaire ne tourne pas rond », Korii, 8 avril 2019 [en ligne]


Goffin M., « Vinted : économie circulaire ou greenwashing ? », 7 sur 7, 21 septembre 2019 [en ligne]


Gosselin J., « Comment faire la différence entre le greenwashing et la véritable mode éthique », Dailygeek show, 22 février 2020 [en ligne]


Héraud B., « Le jour où le Rana Plaza s'est effondré... », Novethic, 23 décembre 2019 [en ligne]


Huot A., « Après le flygskam, voici le köpskam : la honte de faire du shopping », L'Adn, 4 novembre 2019 [en ligne]


Juge E., « La fabrique des conso-marchands : une approche par les dispositifs sociotechniques dans le contexte de la consommation collaborative », thèse de doctorat en socio-gestion, sous la direction d'Isabelle Collin-Lachaud, soutenue le 9 novembre 2018 à l'Université Lille 2


Loisel T., « Vinted, l'histoire d'une ascension fulgurante », Emarketing, 23 septembre 2019 [en ligne]


Moulemvo, André. « Importation de vetements de seconde main et competitivite des micro-entreprises de couture au Congo-Brazzaville », Revue Congolaise de Gestion, vol. numéro 14, no. 2, 2011, pp. 9-33.


Protais M., « Arnaques, fripes et problèmes techniques... Vinted est-il victime de son succès ? », L'Adn, 3 octobre 2019 [en ligne]


Schwab P-N, « Marché de seconde main de luxe : statistiques et analyse », Blog Into the minds, 25 mars 2020 [en ligne]


Vibert E., « Le marché de la fripe dépassera celui de la fast fashion en 2028 », L'info durable, 20 décembre 2019 [en ligne]


« Pourquoi le marché de la seconde main fait revenir les clients en magasin », L'Adn, 13 janvier 2020 [en ligne]

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