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[Dossier] Petite histoire des politiques culturelles - Premier épisode

Dernière mise à jour : 13 juil. 2020

- par Vassili


Il est ici question de l'étude des politiques culturelles françaises, depuis le règne de Louis XIV jusqu'au quinquennat de Nicolas Sarkozy, dans le but d’interroger les liens entre le pouvoir et les arts vivants, ainsi qu'entre la rentabilité économique et les expressions artistiques, tout en réfléchissant à une expression des plus récurrentes aujourd'hui : « la culture est en dehors de la toute puissance du marché économique ». Le but ici est d’interroger la valeur de cette expression en remontant quelque peu dans le passé et comprendre comment notre rapport aux arts fluctue et comment le pouvoir le mobilise (ou non).



Prélude


Il nous faut, pour introduire ce dossier, définir ce qui sera ici entendu par « culture ». Le mot même de « culture » est régulièrement un fourre-tout, regroupant tout autant le théâtre, la télévision, l'habillement ou les pratiques culinaires. Pour les anthropologues, la culture regroupe toutes les activités humaines qui s'opposent à la nature, c'est-à-dire au comportement naturel de notre espèce. On peut donc vite mélanger toutes ces pratiques pour les comprimer dans la « culture ». Pourtant, l'expression artistique et les activités sociétales sont deux choses différentes. L'objet d'étude sera ici entendu comme expression artistique et l'analyse portera précisément sur les politiques menées par les différents ministres de la culture, et les diverses institutions politiques qui ont géré, cadré, contraint la création artistique. Par ailleurs, cette gestion implique que le ministère décide de ce qui est de son ressort, ou non, et indirectement de ce qui est artistique ou non. Si aujourd'hui, le ministère de la culture n'applique pas une censure directe envers les acteurs du milieu artistique, notons que son aval ou son refus donne un certain son de cloche. Il dispose en outre d'un budget (environ 1% du budget de l'État) qui lui permet de subventionner certaines créations et certains espaces dédiés à la création. Il est donc important de noter que par ses choix économiques, les institutions culturelles – non pas uniquement le ministère de la culture mais toutes les institutions qui en dépendent (telles que les SMAC, CDN, DRAC, etc) disposent d'un moyen de censure indirect : sans aucun financement public, les créations ne pourraient sans doute pas réussir à voir le jour.


"SMAC" désigne une Scène de Musiques Actuelles. Ces salles sont apparues dans de nombreuses villes de France (on en compte 17), elles disposent d'un cahier des charges communs ; elles doivent à la fois être un lieu de représentations mais également de productions musicales, dédiées aux « musiques actuelles » amplifiées (souvent en opposition avec la « musique intellectuelle » les musiques actuelles regroupent la pop, le rock, le rap, la variété, …)
Les CDN, "Centres Dramatiques Nationaux", forment un réseau de 38 théâtres publics en France. Tout comme les SMAC, ils disposent d'un cahier des charges précis. Ils sont des lieux de création et de représentation des arts vivants (théâtre, cirque, performance…). Les CDN sont dirigés par un artiste nommé par le ministère de la culture pour un mandat de 3 ans.
DRAC : Direction Régionale des Affaires Culturelles, « service déconcentré du Ministère de la culture »

Petit historique des politiques culturelles françaises


En 1959 est créé le premier ministère des affaires culturelles, conçu pratiquement sur mesure pour le premier ministre à occuper ce poste : André Malraux. Auparavant, dans l’histoire des républiques françaises, les affaires artistiques étaient placées sous la houlette d’autres ministères qui ont une mission plus vaste : celui de l’Éducation Nationale par exemple, ou encore de la Jeunesse et des Sports. Les politiques culturelles françaises -ou pour le dire autrement, les interventions politiques dans la culture- sont, autrement dit, bien antérieures à ce premier ministère de 1959. Dès le XVIe siècle, les arts vivants sont en pleine mutation sur le plan politique. En 1548, un décret interdit les représentations des Mystères ; comme de nombreux autres édits, les politiques culturelles se placent à cette époque dans une logique de censure, d'interdire les formes théâtrales ou de définir les sujets autorisés par la peinture, souvent sous la pression ecclésiastique. On ne peut pas appeler cela des « politiques culturelles », car l'impact du pouvoir est d'interdire et uniquement d'interdire, de définir ce qui est acceptable ou non, sans grande réflexion artistique et d'une manière purement dogmatique, dont l'Église a le doux secret. L'interdiction des Mystères à un impact très fort sur le rapport qu'entretient le peuple avec les arts.


Que sont les Mystères médiévaux ? Il faut imaginer, et c'est complexe, que ce sont des pièces de théâtre qui peuvent durer jusqu'à un mois. Ils mettent en scène la Bible et toute la cité y participe, en tant qu'acteurs ou en tant que créateurs de décors : toute la ville se retrouve sur scène, public et acteurs sont mélangés sur un plateau démesuré et la pièce mélange les genres. C'est à la fois tragique, comique et farcesque. Si les rôles les plus prestigieux sont réservés aux personnalités importantes de la ville et les moins importants aux plus pauvres, tout le monde participe néanmoins et cette représentation artistique est un événement pour la cité. Leur disparition va faire évoluer à la fois les rapports entre l'art et le peuple mais aussi entre l'art et le pouvoir. Cela aura pour autre conséquence de favoriser le développement du mécénat, c'est-à-dire que les artistes soient protégés par un aristocrate qui subvient à leurs besoins et en même temps qui tire une notoriété du travail desdits artistes. Le mécène n'est cependant pas un employeur pour l'artiste : ils entretiennent une relation qui n'est pas économique mais politique.


À partir du règne de Louis XIV, l’État moderne, en se développant, entreprend de renouveler la gestion de la création artistique, ou tout du moins de la manière dont l'art peut être utile à l'État qui est en train de voir le jour. Richelieu va notamment pousser l'État à créer des institutions artistiques pour mettre en valeur le pouvoir du roi, poursuivant la logique de consolidation du pouvoir de Louis XIV au niveau national. C'est ainsi que l'on voit apparaître les premières institutions culturelles étatiques, comme l'Académie Royale de Danse en 1661 ou la Comédie Française en 1680, qui vont d'autre part institutionnaliser l'usage du mécénat entre l'État et l'artiste. Au-delà de favoriser la création dans des domaines artistiques précis -ici, la danse pour l'un et le théâtre pour l'autre- il s'agit bien d'institutions politiques dont la création résulte d'un choix conscient fait par un gouvernement. Il s'agit ainsi d'une action de « politique culturelle », ces institutions ayant des finalités politiques autant qu'artistiques. Les buts de ces académies sont assez multiples : elles vont participer à la structuration du pouvoir, elles centralisent les artistes à Paris, autour du roi, concourant donc à mettre en valeur ce dernier, et permettent de divertir à la fois la Cour et le peuple. La mise en valeur la richesse intellectuelle du pouvoir français assoit du même mouvement l'autorité de ce dernier. La finalité politique de ces institutions est claire.


On peut noter que cette logique s'applique en parallèle sur la politique d'unification de la langue française : on s'emploie déjà, bien avant l'école de la IIIe République, à ce que tout le pays parle la même langue -au détriment notable de la langue d'Oc, ou occitan, ce qui transforme fortement le pays. Le français que l'on parle désormais est un dérivé de la langue d'Oïl. À titre de comparaison, la langue d'Oc ressemble à s'y méprendre au portugais, tandis que celle d'Oïl, parlée dans le nord et donc à Paris, est logiquement proche de notre français actuel. Le mécanisme est assez simple, qu'il soit conscient ou non : pour unifier le pays, il faut en unifier la langue. Pour se comprendre, d'abord, mais également pour penser de la même manière. Notre langage étant la source première de notre réflexion -et non l'inverse-, il faut l'unifier pour unifier le peuple sous l'égide de l'État. Un monarque ne peut pas imposer durablement son pouvoir à des personnes qui ne parlent pas sa langue.


C'est donc dans ce contexte que les premières institutions artistiques sont créées. Elles vont suivre cette démarche, les artistes participant activement au développement de langue française et donc à la destruction des patois locaux. En centralisant les artistes et les auteurs à Paris, on contrait le langage qu'ils utilisent, au delà de la censure possible des textes. Par ailleurs les pratiques du public vis-à-vis du théâtre, de la danse et de la musique sont bien différentes d'aujourd'hui. On se rend au spectacle pour se divertir, faire la fête et moins pour y voir des choses que pour être vu soi-même. Les théâtres sont des lieux de rencontre et de fête pour le peuple, mais plutôt de parade pour les puissants. Ce sont des espaces qui participent à la vie politique et deviennent des salles annexes du pouvoir parce qu'ils sont des moyens de mettre en valeur sa puissance à travers l'art -en étant le plus ostentatoire possible, en montrant des décors somptueux, des tissus d'une grande valeur, des toiles peintes gigantesques, etc. Les salles ont également la fonction de montrer au monde sa puissance économique et intellectuelle. Les théâtres se devaient ainsi d'être des bijoux d'architecture classique et on en construit donc de nouveaux, toujours plus grands et plus luxueux.


Au fil des années, les formes artistiques se développent et avec elles de nouvelles salles de spectacle, construites sur des modèles scénographiques nouveaux pour répondre aux demandes de ces nouvelles formes. Néanmoins, la scénographie des salles est conçue pour mettre en scène le pouvoir. Les théâtres qui voient alors le jour et que l'on connaît encore, les fameux « Théâtre à l'Italienne » sont alors à l'image du monde et représentent les rapports de pouvoir entre les Hommes d'une même société. Ils sont des « microcosmes à l'image du macrocosme ». Ils sont des moyens de se mettre en avant, tout en montrant sa puissance économique et politique avec des salles toujours plus luxueuses, toujours plus richement décorées, comme les palais pouvaient également l'être. Les spectacles reposent ainsi sur des décors par plans, qui suivent la théorie de la perspective inventée à Florence au début du Quattrocento (XVe siècle) et théorisée par Léon Battista Alberti. Pour profiter pleinement de ces œuvres il faut donc être placé face à la scène, au risque que l'illusion ne fonctionne pas : et quelle place, si ce n'est celle du roi, pour fixer le point de repère de cette illusion ?





Illustration : Jérôme Bosch, La Nef de Fous, vers 1510, Musée du Louvre, huile sur bois

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